Si vous suivez le blog, vous savez que nous allons considérablement alléger les sommes allouées sur les fonds euros de nos assurances vie.
Nous pensons que le rendement des fonds euros va inexorablement tendre vers zéro. Nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir un capital « mort » bloqué sur des supports long terme qui ne rapportent presque plus rien.
Ce futur redéploiement aura des conséquences immédiates en matière de droits de succession. L’assurance vie est en effet, sauf exception, considérée comme hors succession (article L132-12 du code des assurances). Elle est donc traditionnellement utilisée pour réduire l’assiette imposable lors d’une succession.
Comment faire pour éviter, ou au moins réduire, les droits de succession sans assurance vie ?
L’autre outil souvent utilisé est la donation qui permet d’anticiper la transmission. J’avais déjà évoqué le sujet dans ce post en décembre dernier : « Une succession qui va impacter notre patrimoine ».
Dans cet article, j’avais évalué l’impact finalement limité sur les droits de succession de la sortie de 100 k€ d’assurance vie de notre patrimoine.
J’avais aussi déjà évoqué dans la conclusion de ce même article la possibilité d’échapper totalement aux droits de succession en réalisant une donation de notre vivant.
Je reviens ici sur ce point précis en examinant les tenants et les aboutissants des donations.
L’abaissement des abattements sur les donations
Les donations, tout comme les successions, bénéficient traditionnellement d’un abattement en deçà duquel aucun droit de succession n’est dû. L’abattement s’applique sur la part recueillie par chacun des donataires en provenance de chacun de leurs donateurs.
Le tableau ci-dessous résume les montants actuels d’abattement sur les donations et les successions en fonction du lien de parenté entre le donateur et le donataire :
Lien de parenté | Montant de l’abattement | |
---|---|---|
Parent/Enfant | 100 000 € | |
Grand-parent/Petit-enfant | 31 865 € | |
Arrière Grand-parent/Arrière Petit-enfant | 5 310 € | |
Frère/Soeur | 15 932 € | |
Oncle-Tante/Neveu-Nièce | 7 967 € |
Ce barème nous apprend que les donations (et les successions) en ligne directe de parents à enfants présentent un abattement d’un montant significatif de 100 000 €.
La 2ème loi de finances rectificative de 2012 l’a certes rabaissé de 159 325 € à 100 000 €, mais ce montant reste suffisant pour éviter l’impôt à plus de 90 % des successions en France.
Les abattements s’entendent par donateur et pour chaque donataire distinct. En clair, un couple marié avec 2 enfants peut donner jusqu’à 400 000 € sans payer de droits. Un couple avec 1 seul enfant peut donner la moitié, soit 200 000 €.
On notera que la loi de 2012 a épargné l’abattement de 159 325 € pour les donations et successions aux personnes en situation de handicap (voir le IV/B/2 au BoFiP du 12/09/2012).
Cet abattement spécifique pour personne handicapée est valable quel que soit le lien de parenté avec le donateur. Une seule et même personne handicapée peut donc bénéficier de l’abattement spécifique autant de fois qu’elle reçoit de donations de personnes distinctes, parentes ou étrangères.
Par ailleurs, l’abattement spécifique handicapé se cumule avec l’abattement éventuel de droit commun selon le lien de parenté. Chaque parent d’un enfant handicapé peut donc lui transmettre 259 325 € sans être imposé.
Les pièges du rappel fiscal
Le délai de rappel fiscal
L’abaissement du montant d’abattement en août 2012 a été accompagné d’un allongement du délai de rappel fiscal qui est passé de 10 à 15 ans. Il avait déjà été augmenté de 6 à 10 ans pendant l’été 2011 par le législateur précédent. Ce genre de décision est toujours pris en pleine période estivale.
Le rappel fiscal consiste à rapporter les donations de moins de 15 ans lors de la succession ou d’une nouvelle donation envers le même bénéficiaire.
Le notaire vérifie au moment de la succession (ou d’une nouvelle donation) si l’abattement spécifique a été « entamé » dans un délai de 15 ans précédant la succession. Si oui, il complète l’abattement jusqu’à son plafond, puis commence à taxer la succession selon le barème progressif en fonction du lien de parenté.
Attention à l’interprétation de ce délai de rappel : il est bien à regarder dans le passé et non pas dans l’avenir. La règle fiscale ne garantit nullement qu’après une donation en franchise d’impôt, vous aurez droit à une nouvelle donation dans un délai de 15 ans dans le futur. Si le législateur décide d’augmenter le délai de rappel d’ici là, il faudra attendre le délai supplémentaire pour reconstituer l’abattement.
Exemple
M. et Mme X ont effectué en 2013 une donation partage de 400 000 € équitablement répartie entre chacun de leur 2 enfants. Cette donation n’a pas été taxée puisqu’elle a été réalisée au plafond d’abattement de 100 000 € par donataire et par donateur en vigueur à l’époque.
En 2028, ils pensent réaliser la même opération avec une nouvelle donation. Manque de chance, le législateur a entre temps décidé de passer le délai de rappel à 20 ans. Ils devront attendre 2033 pour réaliser une nouvelle donation en franchise de droits. Et si l’abattement a été abaissé, ils y seront également soumis.
Ceux qui ont été victimes du passage abrupt du délai de rappel de 6 ans à 15 ans en 2011-2012 ont été confrontés à ce piège. D’autant plus que le mécanisme de lissage prévu en 2011 pour compenser le premier passage de délai de 6 à 10 ans a été supprimé en 2012 par le législateur actuel.
On voit ici un point fondamental concernant les donations de son vivant : il ne faut surtout pas se projeter dans l’avenir en planifiant une transmission par étapes successives. Tout scénario futuriste ne tient qu’au bon vouloir du législateur, et bien sûr à l’espérance de vie aléatoire. On prend ce qui est à prendre à l’instant t, point final.
Le barème progressif des droits de succession
Le mécanisme du rappel fiscal est encore plus pernicieux car il ne joue pas seulement sur le montant de l’abattement. Il joue également sur le barème progressif des droits de succession.
Tout parent devrait au minimum connaître le barème progressif des droits de succession en ligne directe :
Montant transmis imposable | Taux d’imposition |
De 0 € à 8 072 € | 5 % |
De 8 072 € à 12 109 € | 10 % |
De 12 109 € à 15 932 € | 15 % |
De 15 932 € à 552 324 € | 20 % |
De 552 324 € à 902 838 € | 30 % |
De 902 838 € à 1 805 677 € | 40 % |
Au-delà de 1 805 677 € | 45 % |
…où l’on s’aperçoit que toute succession en ligne directe est rapidement taxé au taux de 20 % après l’abattement de 100 000 €.
Le rappel fiscal sur le barème progressif impose de tenir compte des tranches d’imposition éventuellement déjà utilisées lors du calcul des droits de donations antérieures.
Exemple
Mme Y a effectué en 2015 une donation de 150 000 € à son fils unique. Sur cette donation, 50 000 € ont été taxés au barème progressif au-delà de l’abattement de droit commun.
La tranche d’imposition atteinte lors de cette donation est celle à 20 %. Vous pouvez facilement vérifier que les droits se sont élevés à 8 194 €.
Mme Y décède en 2016. Comme le délai de rappel n’a pas été dépassé, le premier euro de sa succession sera taxé au barème progressif à la tranche de 20 %.
Faire une donation de son vivant, c’est faire le pari statistique d’une certaine longévité après la donation.
Privilégier la donation-partage
C’est un point bien connu de tous ceux qui ont plusieurs enfants (ou de manière générale plusieurs héritiers), mais je préfère quand même le rappeler : il faut en général préférer la donation-partage à la donation simple.
La donation-partage, contrairement à la donations simple, « fige » la valeur des biens au moment de la donation.
Exemple très connu
M. et Mme Z ont réalisé une donation simple en numéraire de 100 000 € exonérés de droits à chacun de leurs 2 fils Pierre et Paul.
Avec cette somme, Pierre la fourmi a investi dans un bien immobilier qui vaut 200 000 € au moment du décès de M. Z. Paul la cigale a tout perdu au casino.
Comme il s’agit d’une donation simple, Pierre rapportera à la succession une valeur de 200 000 €, tandis que Paul ne rapportera que 100 000 €. Moralité : le vertueux Pierre devra partager sa plus-value immobilière avec Paul lors de la succession. Ce n’était peut-être (?) pas l’intention première de M. et Mme Z.
La donation-partage permet d’éviter cet effet pervers. Dans ce cas, chacun des 2 fils doit rapporter à la succession la valeur de sa donation-partage au moment où elle a eu lieu, soit en l’occurrence 100 000 € pour chacun, et non sa valeur vénale au moment de la succession.
Si aucun héritier n’est lésé dans ses droits, la donation-partage permet d’éviter toute contestation lors de la succession. C’est un instrument de paix des familles. Contrairement à la donation simple, la donation-partage doit obligatoirement être réalisée par un notaire.
Préférer le don familial au don manuel
Le don manuel d’une somme d’argent a le mérite de la simplicité. Il intervient souvent lorsque des parents veulent aider ponctuellement un enfant, par exemple pour l’acquisition d’un bien immobilier.
Le don manuel ne nécessite aucune condition de forme, acte notarié ou autre : un simple virement, un chèque, la cession de valeurs mobilières, etc, suffisent à le matérialiser.
Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas le déclarer au fisc. Sinon attention au redressement qui ne manquera pas de suivre, tout du moins si la somme est significative. La déclaration au fisc se fait via le formulaire 2735 ad-hoc téléchargeable ici). L’inconvénient majeur du don manuel est qu’il s’impute sur l’abattement de 100 000 € en ligne directe.
Par exemple, un don de 20 000 € à un enfant ramène son abattement en ligne directe à 80 000 € pour une durée de 15 ans. Dommage…
Le don familial de somme d’argent contourne cet inconvénient. Toute personne âgée de moins de 80 ans peut donner tous les 15 ans à un enfant, à un petit-enfant, ou même à un arrière petit-enfant, jusqu’à 31 865 € en exonération de droit.
Ce montant ne s’impute pas sur l’abattement de 100 000 € en ligne directe pour les donations et successions. Attention toutefois, l’exonération de droit ne concerne que les dons en numéraire. Pas question de transmettre en franchise d’impôt des biens mobiliers ou immobiliers.
En absence de descendance directe, le don familial peut être fait en faveur de neveux ou nièces, ou de leur descendance. Cependant, le donataire doit être majeur, ou mineur émancipé.
Le don familial ne nécessite pas d’acte notarié. Un simple acte sous seing privé, ou même une simple preuve de virement ou d’encaissement de chèque suffisent à le matérialiser.
Le démembrement de donation
Au dernier étage de l’arsenal des donations nous trouvons la donation en démembrement de propriété, ou encore donation avec réserve d’usufruit.
Une donation peut en effet être effectuée en nue propriété, le donateur conservant l’usufruit de la donation jusqu’à la succession. Au décès du donateur, le donataire récupère l’entière propriété du don sans imposition supplémentaire.
L’avantage de la donation avec réserve d’usufruit est double :
-
avantage fiscal : puisque les droits de succession ne sont évalués que sur la nue propriété dont la valeur est inférieure à la pleine propriété ;
-
avantage de jouissance : le donateur continue à jouir du bien jusqu’à son décès.
Une donation en pleine propriété est irrévocable et entraîne un appauvrissement «immédiat» du donateur. La donation en démembrement permet d’éviter son caractère immédiat en repoussant la transmission « effective » lors de la succession.
La donation en démembrement présente un intérêt uniquement si elle est effectuée suffisamment tôt. En effet, le barème de l’usufruit, consultable ici, décroît avec l’âge du donateur.
La valeur de l’usufruit entre l’âge de 51 et 61 ans révolus est de 50 %. Une donation en démembrement dans cette tranche d’âge semble particulièrement indiquée car elle permet de doubler l’abattement sur les donations.
Ainsi, un couple dans cette tranche d’âge avec 2 enfants pourra effectuer une donation en ligne directe de 800 000 € sans droits à payer. Un couple avec 1 enfant pourra donner 400 000 €.
Par ailleurs, compte tenu des tables de mortalité, la donation en démembrement entre 51 et 61 ans semble optimiser la probabilité de reconstituer les abattements avant le décès d’un des donateurs. Maintenant, tout le monde ne meurt pas à 82,6 ans !? L’espérance de vie « dans la famille » est une variable sûrement plus pertinente à prendre en compte que l’espérance de vie de la population dans son ensemble.
Conclusion
Ce rapide survol des donations montre qu’il s’agit d’un outil puissant de transmission de patrimoine.
Il est indéniable que l’assurance vie autorise plus de souplesse en matière de transmission. Ne serait-ce que dans le choix des bénéficiaires. Une des forces de l’assurance vie est en effet de permettre la transmission en franchise d’impôt quel que soit le degré de parenté jusqu’à un abattement de 152 500 € par bénéficiaire.
Le taux d’imposition de 20 % de l’assurance vie au-delà de cet abattement est également valide jusqu’à un plafond plus élevé que la tranche équivalente des droits de succession (relire cet article à ce propos).
Pour les patrimoines plus importants, le taux maximal d’imposition de l’assurance vie est actuellement à 31,25 %. Il est donc inférieur aux tranches supérieures des droits de succession.
Mais dans notre gamme de patrimoine à transmettre (l’ordre de grandeur sera fort probablement le million d’euros), et même avec un seul enfant comme héritier, une première donation en démembrement nous permettra d’échapper en grande partie aux droits de succession sans utiliser l’assurance vie.
Toute stratégie de transmission basée sur les donations doit cependant être mûrement réfléchie. Une donation est un dépouillement de fait des donateurs.
En particulier, il convient d’être particulièrement vigilant quand la donation concerne la résidence principale. Dans ce cas de figure, il est fortement conseillé de conserver l’usufruit au profit des donateurs.
Il faut aussi garder à l’esprit que, même en cas de démembrement, si la résidence principale objet du don doit être revendue pour dégager des liquidités (en cas de frais inattendus liés à la dépendance par exemple), il faudra l’autorisation du donataire pour effectuer la vente. Et si vente il y a, le donateur ne récupérera que la valeur de l’usufruit.
En conclusion, il est nécessaire de bien évaluer l’ensemble de son patrimoine avant de se décider. Pour les cas les plus complexes, la consultation d’un notaire semble incontournable.
Crystal
Bonjour,
Le don familial me semble être une bonne solution si l’on veut faire une donation immobilière. Merci pour les conseils, c’est un article très intéressant.